BATTICE – 4 au 6 août 1914 – Rétrospectives par J. Cuvelier

Rétrospectives des événements par Joseph Cuvelier dans ‘La Belgique et la Guerre’ – Tome II – L’invasion allemande (p. 89 à 92)

Battice.

Un des premiers villages qui connurent les horreurs de la guerre dans toute leur ampleur fut Battice. Les événements dont il fut témoin peuvent être considérés comme typiques des causes qui provoquèrent généralement les excès des Allemands et de la manière dont ils travestirent les faits dans la suite. A ce titre, ils méritent d’être rapportés avec quelques détails.

Le 4 août 1914

Dans la soirée du 3 août, M. G. Voisin, curé de Battice, s’efforça de rassurer ses paroissiens alarmés par l’imminence du danger qu’ils sentaient planer au-dessus d’eux. Le brave ecclésiastique, qui n’avait jamais caché ses sentiments germanophiles, croyait pouvoir affirmer que les Allemands ne feraient aucun mal aux habitants paisibles. Que diable! les Prussiens n’étaient pas des sauvages ! Malgré la confiance qu’ils avaient en leur curé, la plupart de ses paroissiens avertis de l’arrivée des Allemands, abandonnèrent le village dans la matinée du 4 pour se réfugier dans les hameaux et les villages environnants. Lorsque, un peu avant midi, une patrouille de six cavaliers y déboucha, il restait tout au plus une cinquantaine de personnes dans le centre de la commune. A ce moment un lancier belge la traversa, en coup de vent dans la direction de Fléron. Un coup de feu, tiré par un Allemand, n’atteignit pas le soldat belge, mais blessa légèrement un des rares civils restés au village.

Peu après, le gros des troupes arriva et bivouaqua sur la place communale où les habitants leur apportèrent à boire et à manger. Pas suffisamment à leur gré cependant, car ils s’attaquèrent bientôt à coups de hache aux maisons abandonnées et les dévalisèrent de fond en comble.

Un aéroplane belge passa. En vain, les Allemands cherchèrent-ils à l’atteindre. Pour se venger de leur déconvenue, ils arrêtèrent trois marchands étrangers à la commune, arrivés le matin même à Battice, et qu’un de leurs soldats accusa d’avoir tiré un coup de revolver. C’est en vain que les malheureux protestèrent de leur innocence et offrirent de se laisser fouiller. Ils furent ligotés et amenés devant un officier qui asséna à l’un d’eux un formidable coup de crosse de son revolver et brisa le nez d’un autre. Après quoi on les colla au mur et on les abattit comme des chiens. Tel fut le bilan de la première journée de guerre pour les bonnes gens de Battice.

Le 5 août 1914

Pendant toute la nuit, le canon fit rage. Le lendemain, de grand matin, on vit des soldats aux traits effarés passer en trombe dans la direction de l’est. Vainement, les officiers tentèrent-ils de rallier leurs troupes en déroute. Des coups de revolver même, tirés dans la direction des fuyards, ne produisirent aucun résultat. Les terribles ravages, occasionnés dans leurs rangs par l’artillerie des forts et l’infanterie belge, postée dans les intervalles, avaient provoqué chez les survivants une panique indescriptible. Ce ne fut que tard dans la matinée que l’on parvint à reformer les régiments et à leur faire reprendre le chemin des forts. L’après-midi, on assista à une scène caractéristique de l’esprit de certains soldats. Après avoir bu et mangé dans une maison, avec quelques camarades, un d’eux sortit et déchargea son fusil, dont la balle fit voler en éclats la pierre de taille formant l’encadrement de la porte. Rentrant précipitamment dans la maison, il accusa un jeune homme, M. J. Halleux, d’avoir tiré sur lui et sans autres explications, il l’abattit d’une balle en plein cœur sous les yeux de sa fiancée. Il déchargea ensuite son arme sur deux personnes, M. Denoël et son fils, qui parvinrent heureusement à se sauver, bien que l’une d’elles fût blessée. Les barbares tuèrent aussi dans sa cave l’échevin Raphaël Iserentant, sa femme, son beau-frère, un septuagénaire, et sa servante. Deux des frères Hendrick furent fusillés, le troisième fut carbonisé dans sa maison (de Thier et Gilbart, op. cit., t. II, p. 25.).

D’autres soldats abattirent un pauvre homme, Louis Wilkin, qu’ils avaient chargé d ‘aller chercher du pain pour eux et qui revenait avec les vivres. Atteint de trois balles, le malheureux tenait encore dans sa main crispée le laisser-passer allemand.

Le 6 août 1914.

Dans la matinée du jeudi 6 août, un officier supérieur se présenta chez le curé et demanda le bourgmestre. Celui-ci était absent, de même que la plupart des habitants qui s’étaient réfugiés dans un hameau voisin. « Mais pourquoi ont-ils peur ? disait l’officier. Allez donc leur dire de rentrer, vous leur rendrez service. Dites-leur qu’ils n’ont rien à craindre : je suis le commandant des troupes qui se trouvent ici et je vous prends sous ma protection. Dites bien aux habitants que je les prends sous ma protection » (Déclaration du curé Voisin reproduite dans l’indépendance belge, du 17 avril 1915). Le curé partit confiant, mais il n’avait pas atteint le hameau qu’on assista à une réédition de la scène du mercredi matin. Environ deux mille soldats de toutes les armes, pêle-mêle, effroyablement pâles, rejetés du fort de Barchon, refluèrent jusqu’à Battice et pénétrèrent dans les maisons des rares villageois qui ne s’étaient pas encore sauvés. Après avoir fait main basse sur tout ce qui restait de vivres et de boissons diverses, ils incendièrent systématiquement toute la localité, y compris l’église, à l’exception de cinq maisons situées près de la gare et dont les troupes avaient besoin. Trente-six habitants trouvèrent la mort à cette occasion (Voir pour le détail des événements de Battice, Les atrocités allemandes dans les environs de Verviers (Ch. Vi liche, Verviers) et G. Somville, op. cit., p. 56.

La propagande allemande

Au mois d’octobre suivant, la commune fut frappée d’une contribution de guerre, sous prétexte que les francs-tireurs y avaient tué cent soixante-seize hommes ! Que l’on ne croie pas à une macabre fumisterie. Le cas de Battice a fait l’objet en Allemagne d’une abondante littérature qui peut être citée comme un exemple typique de la manière dont on s’est prêté à la propagation des légendes au début de la guerre. Nul plus que le Dr. Helferich, qui joua un rôle si important en Allemagne pendant la guerre, ne contribua à répandre ces erreurs, après une prétendue enquête faite sur les lieux mêmes. « La petite ville de Battice, écrit-il dans un récit qui contient autant de contre-vérités que de mots (Der Volksfreund,  9 septembre 1914) , a été brûlée parce que le commandant des troupes allemandes fut tué par le bourgmestre de la ville, devant l’église, après un discours de bienvenue et après la capitulation de la ville. En même temps, on commençait un feu terrible sur nos colonnes se trouvant dans les rues u.

Après un personnage de cette importance, on aurait tort d’en vouloir à M. Max von Amelunxen, lieutenant de réserve du bataillon de chasseurs n° 4 (Livre blanc allemand, p. 11.), lorsqu’il affirme que le 4 ou le 5 août, il ne se souvient plus exactement de la date, il traversa le village de Battice et, dès les premières maisons, il essuya le feu de deux civils tirant d’une lucarne. Il riposta et abattit le premier, qui s’affaissa, et probablement le second aussi. En même temps on tira de quinze ou vingt autres endroits sur lui et les cavaliers, accourus entre-temps. Il fut légèrement atteint dans le bas du corps. Ceux qui tirèrent furent certainement des civils. Les cavaliers mirent le feu aux maisons. Quant au lieutenant, il continua sa route.

Et voilà! Pas l’ombre d’une enquête ! Il eût été facile à ces hommes de pénétrer dans les maisons, de saisir les armes, de prendre les noms des individus trouvés possesseurs de fusils, des blessés ou des tués. M. le lieutenant n’a guère le temps de s’occuper de ces vétilles. Il prescrit le sac de l’endroit et continue.

A ce témoignage on peut opposer celui de M. le curé Voisin : « Je suis en mesure de prouver d’une façon péremptoire qu’il n’y avait personne dans la maison de M. Fraikin, d’où l’on prétendait qu’on avait tiré, ni dans celles d’alentour ! »

Cette déclaration formelle pourrait nous dispenser d’insister. Mais les Allemands ne vont-ils pas révoquer en doute la parole de cet honorable prêtre? C’est déjà fait. Oyez l’histoire du curé de Battice, racontée par les soldats et la presse allemande : « Dans le village belge de Patsie (Il s’agit évidemment de Battice (Pattice, dans la prononciation allemande), le seul village liégeois dont le nom ait pu être transformé de la sorte dans une bouche allemande.), raconte un soldat, le curé catholique avait très aimablement reçu un major allemand (Le commandant dont parle M. le curé Voisin) et son ordonnance. Le prêtre avait ensuite promis le royaume des cieux à un jeune garçon de treize ans s’il tuait les deux Allemands. L’enfant avait commis le crime ; le curé et le garçonnet furent ensuite exécutés ».

Cette histoire ayant été racontée en chemin de fer par un réserviste du 94e régiment d’infanterie, appelé Rösner, à un prêtre allemand, qui en fit remarquer l’invraisemblance, le soldat lui répondit par une grossièreté. La presse rhénane s’empressa de donner à ce conte la plus large publicité. L’organisme allemand d’informations « Pax » demanda une enquête à ce sujet et reçut du ministre de la guerre allemand une réponse dont il résultait que toute cette histoire avait été édifiée sur la découverte, par le 94e régiment d’infanterie de réserve, près d’un village belge, de trois cadavres de civils dont un garçonnet et un adulte vêtu d’un habit noir : on n’avait jamais su établir ni que celui-ci était un prêtre, ni pourquoi les trois malheureux avaient été fusillés ! Le démenti officiel n’empêcha pas, faut-il le dire, les journaux et les brochures de continuer à colporter la légende du prêtre assassin et à représenter le sac de Battice comme le juste châtiment d’un crime contre le droit des gens.

 

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